Consommation
Au pays de la gastronomie et des grands banquets, la nourriture est une affaire sérieuse. Alors ? Que trouve-t-on dans nos assiettes aujourd’hui ?
À table !
Comparé au pain quotidien d’un français du XIXe siècle, le régime actuel est un festin difficile à concevoir. Il est plus riche, plus diversifié, contient de nombreux produits frais ou jadis réservés aux plus fortunés (pièces de boucherie, cacao…) et même certains aliments inconnus jusqu’alors (qui aurait pu prédire les Kinder Surprise et le fromage en tube ?). Si les céréales (pain, pâtes, riz) apportent toujours la plus grosse part de nos calories, les produits d’origine animale (œufs, viandes, poissons, produits laitiers) ont pris une grande place dans notre alimentation. Ils constituent aujourd’hui notre première source de protéines. La consommation de viande a ainsi plus que doublé entre les années 1920 et 1970.
[1]
[2]
Les produits ultra-transformés sont une autre grande caractéristique de notre alimentation moderne. Ils représentent environ un tiers de ce que nous mangeons, les plus connus étant les friandises, les céréales de petit-déjeuner, les desserts lactés, les sauces et produits à tartiner, de nombreuses préparations à base de viande ou de poisson (knacks, nuggets, surimi, cordon bleu…) et des plats cuisinés (quiches, pizzas, raviolis…). Leur fabrication par l’industrie agroalimentaire consiste à décomposer des matières premières agricoles en produits intermédiaires (poudre de lait, amidon de maïs, minerai de viande) puis à les assembler en ajoutant divers additifs (conservateurs, arômes, exhausteurs de goût…).
[3]
« Que ton alimentation soit ta première médecine »
Hippocrate, le célèbre médecin de la Grèce antique à qui on attribue cette maxime, doit se retourner dans sa tombe. En effet, l’alimentation est devenue en France le principal facteur de risque de mauvaise santé et l’une des premières causes de mortalité. En cause, une consommation excessive de produits ultra-transformés riches en sucre, en graisses et en sel. La liste des maladies qu’ils favorisent a de quoi couper l’appétit : diabète, hypertension, cancers, troubles digestifs, maladies cardio-vasculaires, dépression.
[4]
[5]
Le surpoids et l’obésité ont explosé en une vingtaine d’années et touchent aujourd’hui en France respectivement une personne sur deux et une personne sur six. En plus de la dégradation de la qualité de vie des personnes atteintes, les coûts associés pour le système de santé sont conséquents. Une étude les a estimés à près de dix milliards d’euros par an.
[6]
[7]
Nos amis les bêtes ont un bon coup de fourchette
Avant d’arriver au milieu de la table, le poulet fermier du dimanche a eu une vie et un gésier bien remplis : 70 g d’aliments par jour en moyenne, soit 6,3 kg à l’issue de sa carrière. Après découpe, vous obtenez environ 1,1 kg de viande, ce qu’il faut pour vous nourrir pendant une journée. à la place vous aviez mangé le blé et les pois cassés donnés au poulet, vous auriez pu vous nourrir pendant une semaine !
[8]
[9]
[10]
Cet exemple nous rappelle que nos animaux d’élevage ont bon appétit. Ils consomment la moitié des céréales produites en France et non exportées. Sur 18 millions d’hectares de , près de 8 millions sont consacrés à leur alimentation dans notre pays. Cela sans compter les prairies permanentes à potentiel cultivable, les surfaces importées (plus d’un million d’hectares de soja), ni les céréales que nous exportons et qui alimentent des élevages ailleurs dans le monde.
[11]
terres arables
[12]
[13]
Dit autrement, plus il y a de produits animaux dans l’assiette, plus il y a besoin de terres agricoles pour soutenir ce régime. Le régime français moyen actuel nécessite environ 4 000 m² de terres agricoles, contre 2 500 m² pour un régime moitié moins gourmand en produits animaux et 1 800 m² pour un régime trois fois moins gourmand (cf chapitre Terres agricoles). Pour autant, un régime 100 % végétal n’est pas le plus économe en terres agricoles, car les animaux permettent de valoriser des surfaces non cultivables, des déchets et des sous-produits agroalimentaires (sons, tourteaux, lactosérum…). L’optimum correspondrait selon certaines études à un régime comprenant entre 15 et 30 grammes de protéines animales par jour, à comparer aux 65 grammes actuellement consommés quotidiennement en France.
[14]
[15]
[16]
Quand l’élevage déraille
La domestication des animaux a constitué une étape majeure dans l’évolution des sociétés humaines. En plus de fournir une force de travail et un moyen de transport, de permettre le transfert de fertilité des espaces pâturés vers les terres cultivées, les animaux ont joué un rôle important dans la sécurité alimentaire en valorisant des terres peu fertiles et des déchets. Ils continuent de fait de jouer ce rôle dans de nombreux pays. Les produits animaux sont par ailleurs une très bonne source de protéines et de certains micronutriments (fer, zinc, vitamines). Mais le mariage de l’élevage et du productivisme agricole au cours du XXe siècle a tourné au désastre.
À cause des surfaces considérables de terres cultivables qui lui sont dédiées (voir ci-dessus), l’élevage concentre une grande partie des impacts négatifs de l’agriculture liés à l’utilisation des pesticides et des engrais minéraux. L’irrigation du maïs grain, presque uniquement destiné aux animaux, est de loin la première cause de prélèvements d’eau l’été, alors que la ressource est au plus bas. Le soja que nous importons en masse pour l’alimentation des bêtes participe à la déforestation au Brésil et en Argentine. Plus de 80 % des émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture en France sont directement ou indirectement liées à l’élevage. La concentration des productions animales dans certaines zones géographiques entraîne des volumes de déjections ingérables et de graves pollutions des cours d’eau.
[17]
[18]
Plus d’informations sur les ressources utilisées dans le chapitre Terres agricoles
Soyons clairs, l’élevage n’est pas problématique par nature. L’histoire des sociétés humaines nous éclaire sur les nombreux avantages apportés par la domestication des animaux et de multiples exemples en France témoignent des impacts positifs que peut avoir l’élevage, notamment pour le maintien d’écosystèmes remarquables. Mais force est de constater que l’élevage tel qu’il est majoritairement pratiqué aujourd’hui s’est détourné de ses fonctions historiques et nous conduit à une impasse. Nous devons ensemble, éleveurs, citoyens et décideurs, trouver un nouvel équilibre.
L’assiette du futur
Récapitulons, notre régime actuel pose problème pour deux raisons : il nous rend malades car nous mangeons trop de produits ultra-transformés et il n’est pas durable car nous mangeons trop de produits d’origine animale. Le chercheur Anthony Fardet propose un principe simple pour mieux manger : la règle des « trois V ». Une alimentation plus « vraie » (moins de produits ultra-transformés), plus « végétale » et plus « variée ».
[19]
À quoi cela ressemblerait-il concrètement ? Les modèles proposés dans certains scénarios de transition agricole et alimentaire comme TYFA ou Afterres2050 nous apportent des éléments de réponse. Pour la viande par exemple, l’objectif est une diminution de moitié. Cela représenterait une consommation moyenne de 60 grammes par jour, on est donc encore très loin du végétarisme ! Les céréales complètes, les légumineuses, les fruits et légumes frais et les fruits à coque verraient quant à eux leur part augmenter. Bonne nouvelle, ce régime durable est pleinement en phase avec les recommandations nutritionnelles du Haut Conseil de la Santé Publique.
[20]
[21]
[22]
Vers un changement de régime
Précisons de suite que la diminution de la consommation de produits animaux doit aller de pair avec une diminution en amont des productions animales. Sans quoi la pression sur les terres arables ou les impacts liés à l’élevage intensif resteront inchangés. Autre évidence, ce n’est ni aux éleveurs, ni aux salariés de l’agroalimentaire de payer le prix de cette réorientation collective.
Nous pourrions laisser faire le temps. Le renouvellement des générations est particulièrement difficile en élevage et les contraintes à venir sur la production fourragère ou les cultures vont vraisemblablement plonger de nombreux éleveurs dans des situations économiques intenables. Ou nous pouvons au contraire anticiper ces problèmes et proposer une trajectoire qui ne laisse personne sur la route.
[23]
L’une des difficultés, c’est que les principaux outils de régulation et de planification relèvent de la politique européenne (politique commerciale). Nous pourrions réactiver des instruments utilisés avec succès par le passé comme les quotas et les prix garantis. La diminution planifiée des volumes de production serait compensée par une augmentation des prix d’achat, avec une vision à long terme et une protection contre la pression commerciale exercée par les industriels en aval. Le rachat par la puissance publique des actifs devenus obsolètes ou surdimensionnés (en particulier certains bâtiments et matériels d’élevage spécialisés) est un moyen de compenser les investissements réalisés par le passé et de lever un des freins importants à la transmission. Enfin, l’harmonisation des règles du commerce international est incontournable pour prévenir les distorsions de concurrence entre pays et ne pas ruiner les progrès réalisés par les agriculteurs français. La mise en place de répond à cet objectif et peut être accompagnée d’autres mesures d’harmonisation.
PAC
[24]
mesures-miroirs
[25]
En attendant que les institutions européennes se saisissent des enjeux, nous pouvons déjà faire beaucoup en France. La restauration collective gérée par les collectivités et les administrations publiques doit se montrer exemplaire en suivant la règle des « trois V » et les recommandations du Haut Conseil pour la Santé Publique. Agir fermement sur la publicité et la pression marketing en faveur des produits ultra-transformés, notamment celles visant les enfants, aura des impacts immédiats et ne demande qu’un peu de volonté politique. La mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation constitue par ailleurs un moyen d’offrir aux éleveurs un marché sécurisé avec des prix garantis, et aux consommateurs, des produits animaux de qualité (cf chapitre Accessibilité de l'alimentation).
[26]
Simulez vos actions
Et si on changeait de régime alimentaire (plus local, plus bio et avec moins de gaspillage) ?
Ils l'ont fait
Tours
En plus d’un menu entièrement végétarien par semaine, conformément à la loi Egalim, la ville de Tours propose une alternative végétarienne quotidienne dans ses cantines scolaires. Face au succès rencontré, notamment permis par une montée en qualité des menus, la ville souhaite mettre en place un menu végétarien supplémentaire une semaine sur deux.
À retenir
- Le régime alimentaire moyen en France pose deux problèmes majeurs : il nous rend malades à cause d’une consommation excessive de produits ultra-transformés riches en sucre et en graisses, il n’est pas durable à cause d’une trop grande consommation de produits d’origine animale.
- Plus notre alimentation est riche en produits d’origine animale, plus elle nécessite une surface agricole importante.
- L’élevage moderne s’est éloigné de ses fonctions historiques, il mobilise une quantité disproportionnée de terres arables et d’autres ressources par rapport à sa contribution à l’alimentation humaine.
- Un régime alimentaire plus vrai (produits bruts ou peu transformés), plus végétal et plus varié permettrait d’améliorer notre santé et la durabilité des systèmes agricoles.
- Sa généralisation, associée à une réduction des productions animales, nécessite des mesures politiques coordonnées à différentes échelles pour garantir une transition juste et en phase avec les contraintes économiques des producteurs.