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Dépendances aux ressources et aux technologies
La souveraineté alimentaire de la France, une illusion ? L’image de grande puissance agricole souvent associée à notre pays masque sa dépendance totale à plusieurs ressources et technologies importées. Or leur disponibilité est loin d’être garantie dans les années à venir.
Pas de souveraineté sur l’énergie
Les énergies fossiles sont présentes à tous les niveaux de la chaîne de production de nourriture : fabrication des intrants (en particulier des engrais minéraux), travaux agricoles, transports des marchandises, fonctionnement des usines agroalimentaires et des supermarchés. Hors consommation des ménages (déplacements, cuisson des aliments), on estime que l’alimentation des français nécessite 25 millions de tonnes équivalent pétrole par an. Avec le mix énergétique actuel cela représente environ 40 cl de pétrole et 170 g de gaz par personne par jour .
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Mauvaise nouvelle, la disponibilité des énergies fossiles va décroître au cours des prochaines décennies. Il s’agit en effet de ressources non renouvelables dont le pic de production est en passe d’être franchi à l’échelle mondiale. Même dans un scénario optimiste, la production de pétrole des principaux fournisseurs de l’Union Européenne aura baissé de moitié d’ici 2050. Dans ce contexte, la concurrence entre pays acheteurs va devenir de plus en plus rude et les tensions sur l’approvisionnement risquent de se multiplier, notamment pour des raisons géopolitiques. On commence à s’occuper du problème ou on attend la dernière goutte ?
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Évolution historique et projections jusqu’en 2050 de la production de pétrole brut des seize principaux pays fournisseurs de l’Union Européenne.
Source: Graphique issu du rapport « Approvisionnement pétrolier futur de l’Union Européenne : état des réserves et perspectives de production des principaux pays fournisseurs » publié en 2021 par The Shift Project.
Pas de souveraineté sur les engrais
Tout système agricole se doit d’assurer le renouvellement de la fertilité des sols. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, notre agriculture dépend pour cela des . C’est en grande partie grâce à ces produits, et notamment aux engrais azotés, que les rendements d’une culture comme le blé sont passés de 1,5 à 7 tonnes par hectare en 50 ans ! La France consomme chaque année 8 500 000 de tonnes d’engrais minéraux, soit 350 g par jour par habitant, les engrais azotés en représentant la plus grande part.
engrais minéraux de synthèse
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Cuba dans les années 1990
Un exemple de rupture d’approvisionnement en engrais
Fin 1991, Cuba a subitement été privée d'environ 70% de ses engrais de synthèse et pesticides.
En 3 ans, la production agricole - fortement industrialisée à l'époque - a diminué de moitié et l'apport calorique moyen des habitants, d'un tiers.
Que ce soit pour les produits eux-mêmes ou pour les matières premières nécessaires à leur synthèse, l’approvisionnement de la France en engrais minéraux repose quasi-intégralement sur les importations. De plus, la fabrication de ces engrais consomme des ressources non renouvelables : du gaz fossile pour les engrais azotés, des gisements miniers pour les engrais phosphatés. L’épuisement programmé de ces ressources va nous obliger à utiliser de moins en moins d’engrais minéraux et notre dépendance aux importations nous rend vulnérables face aux perturbations géopolitiques.
Suite à la flambée du cours du gaz fossile entre 2021 et 2022, le prix des engrais azotés a été multiplié par trois.
Source: Les Greniers d’Abondance d’après les données EEX (PEG Monthly index, disponible sur le site du Comité National Routier et INSEE (Indice mensuel des prix d'achat des moyens de production agricole (IPAMPA) - Engrais simples azotés).
Pas de souveraineté sur les pesticides
L’utilisation de pesticides issus de l’industrie chimique a été un autre pilier de l’augmentation des rendements agricoles de la seconde moitié du XXe siècle. Ils permettent de lutter contre les , les animaux qui se nourrissent des cultures (principalement des insectes) et les pathogènes (principalement des champignons). En 2021, la France en a consommé 69 600 tonnes, soit près de 1 kg par habitant. Ces produits ou les substances actives nécessaires à leur fabrication sont très largement importés et une poignée d’entreprises se partagent l’essentiel du marché. La Chine par exemple a récemment acquis une place dominante et contrôle près de la moitié du marché mondial.
adventices
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La dépendance aux pesticides constitue une vulnérabilité dans un contexte où les chaînes d’approvisionnement mondialisées pourraient être déstabilisées par des crises géopolitiques ou économiques. Sans parler des conséquences de ces produits sur la santé des travailleurs agricoles et sur les écosystèmes (cf chapitre Impacts des pratiques agricoles).
Pas de souveraineté sur l’alimentation des animaux
La France est un pays où l’élevage industriel est très présent, mais la plupart de ces animaux ne pourraient être nourris sans l’importation d’aliments riches en protéines comme les tourteaux de soja. La France en importe en effet 3,2 millions de tonnes par an, soit 130 g par jour par habitant. Le Brésil est notre principal fournisseur. Pour produire nous-mêmes cet aliment, il faudrait cultiver du soja sur 1,6 millions d’hectares, soit toute la surface agricole de la Bretagne.
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Cette dépendance vis-à-vis des pays exportateurs peut devenir un instrument de pression en cas de tensions géopolitiques et nous expose à la volatilité des marchés mondiaux. La culture du soja dans le bassin amazonien s’accompagne par ailleurs d’une importante déforestation, détruisant l’un des écosystèmes les plus riches de la planète et contribuant à l’émission de CO2 dans l’atmosphère.
Le développement de la culture du soja en Amérique du Sud est l’une des causes principales de la déforestation.
Pas de certitudes sur les capacités d’irrigation futures
L’agriculture en France est majoritairement pluviale, seules 10 % des surfaces cultivées sont irriguées. Pourtant, la consommation agricole d’eau représente 58 % de la consommation annuelle totale du pays. Entre juin et août, cette part dépasse les 90 % dans la plupart des bassins hydrographiques du sud et du sud-ouest. La culture du maïs est celle qui pèse le plus sur la ressource eau, malgré sa faible contribution à l’alimentation humaine (39 % des surfaces irriguées, avec des besoins en eau centrés sur la période estivale).
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L’irrigation peut mobiliser des eaux de surface ou souterraines, issues de réservoirs naturels (nappes souterraines, lacs, rivières, etc.) ou artificiels (retenues et barrages). Les territoires sont très inégaux vis-à-vis de la disponibilité de la ressource. Certains peuvent compter sur des réservoirs souterrains de grande capacité et à forte inertie, capables de résister à des sécheresses de longue durée (plaines du bassin parisien). D’autres au contraire subissent rapidement les effets d’un manque de précipitations (massifs armoricain et central).
Le dérèglement climatique va accentuer le déficit estival de précipitations et provoquer une élévation des températures. L’évaporation de l’eau augmentera et le risque de sécheresse également. De même, la réduction du volume des glaciers en montagne va conduire à une diminution des débits des cours d’eau qu’ils alimentent. L’agriculture devra donc faire face à la fois à une augmentation des besoins en eau des plantes, notamment l’été, et une diminution de la disponibilité de la ressource. Dès lors, réduire notre dépendance à l’irrigation et réserver l’eau aux cultures qui contribuent le plus à notre sécurité alimentaire est une voie d’adaptation essentielle (cf chapitre Climat et autres crises).
Pas de souveraineté sur les technologies complexes
Notre système alimentaire dépend d’un ensemble de technologies complexes : machines agricoles, biotechnologies, chaînes de production agroalimentaire automatisées, logiciels de gestion logistique, etc. La numérisation et la robotisation du secteur progressent, souvent portées par des multinationales en situation d’oligopole. La souveraineté de notre pays en la matière est très faible. Il n’y a par exemple plus d’entreprise française fabriquant des tracteurs.
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Si ces technologies ne sont pas par principe dénuées d’intérêt, la plupart s’inscrivent dans le paradigme productiviste actuel et risquent donc de renforcer les problèmes de déclin de la population agricole, d’endettement et d’asymétrie de pouvoir entre industriels d’une part et agriculteurs / consommateurs d’autre part. La perte d’autonomie technique rend les exploitations agricoles vulnérables face aux dysfonctionnements des équipements ou au durcissement des relations commerciales avec les fournisseurs. Plus généralement, cette complexité technologique devient une fragilité dans un monde où l’accès aux ressources en énergie et en métaux est de plus en plus difficile et où s’accroît le risque de perturbations touchant les chaînes de production mondialisées, les systèmes de transport ou de communication.
Et si on renforçait notre autonomie ?
Retrouver de l’autonomie revient à mieux choisir nos dépendances de sorte à ce que notre sécurité alimentaire ne repose pas sur des ressources qui se raréfient et sur des multinationales ou des États qui à l’avenir pourraient ne pas toujours se montrer coopératifs.
La généralisation des pratiques agroécologiques constitue le principal levier pour réduire nos dépendances externes, tout en présentant d'autres bénéfices majeurs comme l'amélioration de la santé humaine et celle des écosystèmes. Les grands principes de l’agroécologie et les obstacles à surmonter pour son développement sont détaillés dans le thème suivant.
À retenir
- Les niveaux de production atteints par l’agriculture française reposent sur des ressources et technologies importées dont la disponibilité n’est pas garantie pour les années à venir.
- Au premier rang de nos dépendances critiques figurent les énergies fossiles et les engrais de synthèse, notamment azotés. Des contraintes sur les prix ou sur les volumes disponibles sont susceptibles de mettre en grande difficulté notre système alimentaire.
- Notre souveraineté est également limitée dans le domaine des pesticides, de l’alimentation animale, du machinisme agricole et des nouvelles technologies numériques appliquées à l’agriculture. Cela nous rend vulnérable en cas de perturbation des chaînes de production mondialisées ou dans le cas d’un différend avec une des grandes entreprises ou un des États fournisseurs.
- La recherche d’une plus grande autonomie et d’une plus grande sobriété dans l’usage des ressources est au cœur de la démarche agroécologique. Son développement améliorera notre souveraineté alimentaire.