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Agriculteurs

Agriculteur, une espèce en voie de disparition ? Si la tendance actuelle se poursuit, il n’y aura bientôt plus grand monde pour produire notre nourriture. Pourtant le métier continue de séduire. Alors ? Prêt à s’engager pour la transmission des fermes ?

Une population d’agriculteurs vieillissante et en fort déclin

En 1860, l’agriculture occupait plus d’un actif sur deux en France. Ce qu’on appelait encore la paysannerie concernait même une partie encore plus large de la population, car les femmes et les enfants sollicités pour travailler la terre ne figuraient pas toujours dans les statistiques. Puis, l’industrialisation de l’agriculture et les gains de productivité phénoménaux qui l’accompagnèrent ont entraîné en un siècle la quasi-disparition de ce monde paysan, si bien qu’aujourd’hui moins de 3 % des actifs travaillent dans l’agriculture
. Et ce déclin se poursuit encore de nos jours. Entre 2010 et 2020, la France a perdu près de 100 000 agriculteurs et autant de fermes (soit 20 % du total)
.
Cette situation n’est pas prête de s’améliorer car 43 % des chefs d’exploitation ont 55 ans ou plus
et quitteront donc leur activité d’ici une dizaine d’années. Au rythme actuel de trois départs pour deux installations
, on s’attend donc à ce que la chute du nombre d’agriculteurs se poursuive.
Pour les territoires ruraux, la diminution du nombre d'agriculteurs est une mauvaise nouvelle. Elle signifie moins d’activité économique, moins d’emplois induits, moins d’attractivité. Pour les agriculteurs qui restent, l’isolement social se renforce. L’agrandissement des exploitations entraîne une charge de travail plus importante, un plus haut niveau d’endettement et des difficultés supplémentaires à transmettre son outil de travail. Il est par ailleurs peu favorable à la diffusion des pratiques agroécologiques car il s’accompagne souvent d’une simplification technique, d'une homogénéisation des paysages, et d’une spécialisation accrue dans un type de production.

Ce n’est pas près de changer

Les obstacles au renouvellement des générations en agriculture sont nombreux, en particulier pour les installations hors cadre familial, et encore plus pour les personnes non issues du monde agricole. On peut citer le manque d’adéquation entre les exploitations mises sur le marché et les souhaits des candidats, le manque d’information concernant les opportunités de reprise, les difficultés pour trouver un logement, le temps à consacrer à la transmission pour le cédant et le risque de ne pas aboutir malgré son investissement
. Mais le coût prohibitif de la plupart des exploitations à reprendre est probablement l’un des éléments les plus déterminants.
S’installer en agriculture coûte cher ! Après des décennies d’agrandissement, les fermes ont atteint un niveau de capitalisation considérable. D’un point de vue comptable, l’actif moyen d’une exploitation française s’élève à près de 500 000 euros, dont 280 000 d’immobilisations (foncier, bâtiments, matériel, animaux reproducteurs)
. Mais les valeurs de reprise sont souvent bien supérieures :
, rachat de la maison d’habitation,
… Ainsi, il n’est pas rare de voir des montants de reprise dépassant le million d’euros sur le site d’annonces des
. De quoi en refroidir plus d’un.
Même en cas de transmission familiale, le recours à l'endettement est quasi-systématique et pèse durablement sur la trésorerie de l’exploitation
. Le bénéfice de l’activité agricole est consacré en grande partie au remboursement des emprunts et donc à la constitution d’un capital au détriment du revenu et de la protection sociale
. On en arrive à ce paradoxe : les agriculteurs constituent la catégorie professionnelle qui affiche à la fois le plus haut niveau de patrimoine et le plus haut taux de pauvreté
!
La capitalisation est une obligation de métier, mais elle est accentuée par l’environnement réglementaire et professionnel. Les
qui encadrent les investissements permettent de réduire l’assiette des prélèvements des impôts et des cotisations sociales
. Cette optimisation fiscale basée sur le suréquipement devient parfois une fin en soi, au détriment de la protection sociale et de la transmission de l’exploitation.
L’endettement structurel de la profession contribue aux faibles revenus et en particulier, aux faibles retraites. Celles-ci s’élèvent en moyenne à 860 euros par mois pour un agriculteur ayant fait une carrière complète
. La situation est encore pire pour de nombreuses femmes qui, ayant travaillé toute leur vie sans statut professionnel ni revenu auprès de leur compagnon, touchent la plupart du temps des pensions inférieures à 600 euros mensuels
. Vendre sa ferme à bon prix en fin de carrière est donc un enjeu crucial, sous peine pour certains de basculer dans la pauvreté. Et le cycle endettement-capitalisation peut recommencer pour la génération suivante, jusqu’à l’impasse dans laquelle se trouvent la plupart des fermes aujourd’hui.

Vers une agriculture sans agriculteurs

Cette formule proposée par les sociologues Bertrand Hervieu et François Purseigle
fait écho à la disparition du modèle familial traditionnel et à la montée en puissance d’une agriculture « aux allures de firme ». Deux grandes tendances sont à l'œuvre.
On constate d’un côté une augmentation de la délégation du travail auprès d’entreprises spécialisées. Cette sous-traitance peut-être occasionnelle (par exemple pour réaliser un chantier de récolte) ou intégrale (conduite d’une culture de A à Z). Parfois, c’est également la gestion administrative et financière de l’exploitation qui est sous-traitée. Le « chef d’exploitation » officiel, parfois très éloigné du monde agricole, se contente dans les cas les plus extrêmes d’encaisser le chèque et les subventions.
En parallèle, on assiste à une complexification des formes juridiques et des participations aux sociétés agricoles. Des holdings émergent qui regroupent plusieurs entreprises agricoles en apparence indépendantes. Les exploitations s’ouvrent à des investisseurs extérieurs, parfois des industriels qui y voient un moyen de sécuriser leurs approvisionnements en limitant les risques liés à l’endettement de leurs fournisseurs. Ce phénomène de concentration par le biais des formes sociétaires est à la fois difficile à mesurer et impossible à réguler en l’état actuel, notamment sur les questions d’accès au foncier.
Si ces évolutions répondent en partie aux problèmes soulevés par la diminution du nombre d’exploitants agricoles et par la difficulté à transmettre des fermes fortement capitalisées, elles posent néanmoins question. Sans action forte sur le renouvellement des générations, le scénario d’une agriculture sans agriculteurs aura toutes les chances de se réaliser. L’agriculture deviendra un secteur industriel comme les autres, poursuivant la logique de diminution des coûts de production et privilégiant la rentabilité pour les investisseurs. Les chances que cela contribue à une meilleure souveraineté alimentaire sont assez maigres.

Créons des offices fonciers pour accompagner la transmission des fermes

L’ensemble des obstacles à la transmission des exploitations agricoles dépassent souvent ce qui est du ressort des cédants ou des repreneurs, peu importe leur bonne volonté. Seule une politique globale, s’appuyant sur des moyens et des outils adaptés, permettra de dépasser ces obstacles.
Considérer que les agriculteurs doivent à tout prix devenir propriétaires de leur outil de travail n’a rien d’une évidence. Ce n’est pas le fait en soi d’être propriétaire qui importe, mais la sécurité, la liberté d’entreprendre et l’indépendance vis-à-vis des tiers que cela est censé procurer. Les niveaux d’endettement actuels rendent ces promesses très lointaines. En rachetant et en mettant à disposition des terres et du bâti agricole à des paysans,
a fait la démonstration qu’il était possible de casser le cercle vicieux de l’endettement tout en garantissant la pérennité des outils de production agricoles. Nous pouvons nous appuyer sur ces initiatives réussies pour passer à l’échelle supérieure.
Une mesure emblématique consisterait à créer des offices fonciers chargés d’acquérir pour une durée indéfinie et de mettre à disposition des biens immobiliers (terres, bâtiments d’exploitation, équipements, logement) nécessaires à la production agricole. Cette idée avait été proposée par Edgar Pisani – ex-ministre de l’agriculture – à la fin des années 1970 pour répondre à des enjeux déjà semblables à ceux d’aujourd’hui. Le principe est simple : toute personne avec un projet d’installation agricole pourra s’il le souhaite solliciter l’office foncier local pour qu’il assure l’acquisition de certains biens. Ces derniers seront mis à disposition par l’office grâce à des baux de carrière, transmissibles à la descendance, et dont les modalités (montant des loyers, conditions à respecter en termes de pratiques agricoles) seront précisées dans une charte définie par les usagers et des représentants du territoire. Les loyers des usagers couvriront les dépenses de fonctionnement des offices (salaires des employés, travaux sur le bâti) tandis que les acquisitions seront essentiellement financées par l’investissement public.
En diminuant fortement les besoins en capitaux lors de l’installation, le système des offices fonciers permet de lever un obstacle majeur au renouvellement agricole. Il va au-delà des mécanismes de portage foncier en affranchissant définitivement l’agriculteur usager de la nécessité de devenir propriétaire de son outil de travail. Ainsi, la part du bénéfice dédiée à la constitution d’un patrimoine professionnel diminue fortement, ce qui permet d’améliorer la rémunération directe et la protection sociale des agriculteurs. L’attractivité des métiers agricoles s’en trouve renforcée, favorisant davantage la dynamique d’installation.
Ils l'ont fait
Pays de la Loire
Fondée en 2018 à l’initiative de l’association Terre de Liens Pays de la Loire, la SCIC Passeurs de Terres préfigure ce que pourraient être les offices fonciers. Cette coopérative réunit habitants et agriculteurs pour acquérir et gérer collectivement du foncier sur le territoire.
À retenir
  • Jamais le nombre de travailleurs agricoles n’a été aussi faible en France, la tendance à la diminution du nombre de fermes et à l’agrandissement de celles qui restent se poursuit.
  • Parmi les nombreux obstacles à la transmission des fermes, le coût de reprise est probablement le plus difficile à dépasser. Nous payons le prix de décennies d’agrandissement des outils de production.
  • L’endettement structurel de la profession agricole est une autre conséquence de la capitalisation des fermes. Il pèse sur le revenu et la protection sociale des agriculteurs, réduit leur autonomie et s’oppose aux changements de pratiques.
  • Face à la disparition du modèle historique d’agriculture familiale se développent de nouvelles formes d’agriculture aux allures de firme. Elles recourent à la sous-traitance (travaux et/ou gestion) ainsi qu’à des formes sociétaires complexes et ouvertes à des acteurs multiples.
  • La création d’offices fonciers locaux chargés d’acquérir des moyens de production (terres, bâtiments, équipements, logements) pour les agriculteurs qui le souhaitent constitue une réponse aux difficultés de transmission. Ces outils peuvent être mis en place dès aujourd’hui par des acteurs volontaires.