Les obstacles au renouvellement des générations en agriculture sont nombreux, en particulier pour les installations hors cadre familial, et encore plus pour les personnes non issues du monde agricole. On peut citer le
manque d’adéquation entre les exploitations mises sur le marché et les souhaits des candidats, le manque d’information concernant les opportunités de reprise, les difficultés pour trouver un logement, le temps à consacrer à la transmission pour le cédant et le risque de ne pas aboutir malgré son investissement [5]
. Mais le coût prohibitif de la plupart des exploitations à reprendre est probablement l’un des éléments les plus déterminants.
S’installer en agriculture coûte cher ! Après des décennies d’agrandissement, les fermes ont atteint un niveau de capitalisation considérable. D’un point de vue comptable,
l’actif moyen d’une exploitation française s’élève à près de 500 000 euros, dont 280 000 d’immobilisations (foncier, bâtiments, matériel, animaux reproducteurs) [6]
. Mais les valeurs de reprise sont souvent bien supérieures :
valorisation des immobilisations au prix « du marché »
, rachat de la maison d’habitation,
monnayage de la transmission des baux dans certaines régions
… Ainsi, il n’est pas rare de voir des montants de reprise dépassant le million d’euros sur le site d’annonces des
SAFER
. De quoi en refroidir plus d’un.
Même en cas de transmission familiale,
le recours à l'endettement est quasi-systématique et pèse durablement sur la trésorerie de l’exploitation [7]
.
Le bénéfice de l’activité agricole est consacré en grande partie au remboursement des emprunts et donc à la constitution d’un capital au détriment du revenu et de la protection sociale [8]
. On en arrive à ce paradoxe :
les agriculteurs constituent la catégorie professionnelle qui affiche à la fois le plus haut niveau de patrimoine et le plus haut taux de pauvreté [9]
! La capitalisation est une obligation de métier, mais elle est accentuée par l’environnement réglementaire et professionnel.
Les dispositifs fiscaux
qui encadrent les investissements permettent de réduire l’assiette des prélèvements des impôts et des cotisations sociales [10]
. Cette optimisation fiscale basée sur le suréquipement devient parfois une fin en soi, au détriment de la protection sociale et de la transmission de l’exploitation.
L’endettement structurel de la profession contribue aux faibles revenus et en particulier, aux faibles retraites.
Celles-ci s’élèvent en moyenne à 860 euros par mois pour un agriculteur ayant fait une carrière complète [11]
. La situation est encore pire pour de nombreuses femmes qui, ayant travaillé toute leur vie sans statut professionnel ni revenu auprès de leur compagnon,
touchent la plupart du temps des pensions inférieures à 600 euros mensuels [12]
. Vendre sa ferme à bon prix en fin de carrière est donc un enjeu crucial, sous peine pour certains de basculer dans la pauvreté. Et le cycle endettement-capitalisation peut recommencer pour la génération suivante, jusqu’à l’impasse dans laquelle se trouvent la plupart des fermes aujourd’hui.